En remontant le fil de l’affaire en Tunisie, Le Desk a découvert que le laboratoire saoudien Tabuk Pharmaceuticals, dont l’antenne Maghreb est basée à Casablanca, a sciemment dissimulé au corps médical et à ses patients marocains que son médicament Pedovex, produit sous licence par Zenith Pharma, avait été interdit dans son pays d’origine. Le ministère de la Santé avait pourtant tenté d’étouffer l’affaire. Nouvelles révélations
Nouveau rebondissement dans l’affaire du Pedovex révélée par Le Desk en mars dernier, ce médicament prescrit pour des patients souffrant d’une pathologie grave (AVC, infarctus du myocarde), interdit en décembre dernier dans son pays d’origine, l’Arabie saoudite et produit et commercialisé sous licence au Maroc jusqu’à la parution de notre enquête.
Alors que le laboratoire Zenith Pharma qui le fabriquait à Agadir pour le compte du génériqueur saoudien Tabuk Pharmaceuticals tentait avec maladresse d’étouffer l’affaire, aidé en cela par le ministère de la Santé, nous posions des questions demeurées à ce jour sans réponse :
Pourquoi avoir attendu trois mois pour enclencher ce principe de précaution, d’autant qu’il s’agit d’un médicament essentiel jugé inefficace par la Saudi Food And Drug Authority comme l’a reconnait sur le tard le ministère de la Santé ? Combien de Marocains ont, depuis cette date, continué à le prendre pour assurer leur survie ?
La réponse viendra de Tunisie à l’aune de la même affaire qu’a connu notre voisin du Maghreb. Là bas, le Pedovex a été interdit le 27 février et son autorisation de mise sur le marché annulée, non pas par une alerte de Tabuk, mais par un incroyable concours de circonstance.
Moez Sediri, employé du laboratoire saoudien à Tunis, a été avisé par un cardiologue du cas étrange d’un de ses patients qui, à cours de Pedovex durant son pèlerinage à La Mecque, a cherché en vain de s’en procurer dans les pharmacies locales. Etonné, Sediri a alors contacté Salma Chlieh, project manager de Tabuk pour le Maroc et la Tunisie, qui officie depuis l’antenne Maghreb du laboratoire basée à Casablanca.
La responsable lui répond alors que le médicament est interdit en Arabie Saoudite depuis le 29 décembre 2017 et qu’il ne devait en aucun cas agir en conséquence. Selon Sediri, contacté par Le Desk, leur échange téléphonique a tourné à la dispute, Chlieh l’ayant menacé de licenciement s’il prenait une quelconque initiative personnelle sans instructions formelles de sa hiérarchie. Et pour confirmer ses dires, la responsable lui a envoyé un mail le même jour, soit le 24 février à 15h17 heure de Tunis.
UNE « INFORMATION CONFIDENTIELLE » À NE PAS RÉVÉLER…
Le contenu de ce courriel dont Le Desk a pu en vérifier les termes est pour le moins effarant. Chlieh signifie à Sediri qu’il s’agit-là « d’une information confidentielle à ne pas communiquer à des tiers, tant que les autorités tunisiennes ne se sont pas prononcées, lesquelles autorités seront informées par la voie officielle ». A préciser qu’au 24 février, ces autorités n’étaient pas alertées. Elles ne le seront que le 26, et procéderont immédiatement au retrait du médicament.
Chlieh ajoute aussi que ce dossier « relève du secret professionnel liant son employeur (Sediri) à Tabuk », faisant valoir un article de son contrat de travail mentionnant « un licenciement pour faute grave » au cas où il outrepasserait ses instructions.
Notifié à Alger.
Mais Sediri, qui est médecin, brave l’oukaze venu du Maroc au nom du serment d’Hippocrate, et lance immédiatement l’alerte auprès du corps médical, des prescripteurs et des autorités sanitaires tunisiennes. La sentence ne tarde pas à venir, il est licencié quelques heures après le retrait officiel du Pedovex en Tunisie, notifié en cela par le chargé des ressources humaines du génériqueur basé à Alger.
« Il m’était impossible de suivre les instructions de Casablanca alors que le médicament peut potentiellement et gravement porter préjudice à la santé des patients tunisiens », explique-t-il. Rien en effet, ne pouvait justifier qu’il soit considéré comme inefficace et donc dangereux à Riyad en décembre et pas à Tunis ou Casablanca, des mois après son retrait en Arabie Saoudite.
En Tunisie, l’affaire Sediri a provoqué une vague d’émoi sur les réseaux sociaux en solidarité avec le médecin lanceur d’alerte aujourd’hui au chômage, tandis qu’au Maroc, Tabuk et son partenaire Zenith Pharma ont continué à dissimuler la dangerosité du Pedovex jusqu’à ce que Le Desk en fasse cas fin mars.
Contactée au téléphone par Le Desk, Salma Chlieh s’est montrée peu surprise, a d’abord écouté nos questions, avant de répondre sèchement : « Je ne ferai aucun commentaire. Ces informations n’engagent que Moez Sediri », avant de raccrocher.
OMAR BOUAZZA PROMET DES INVESTIGATIONS DANS LE VIDE
Dans ses explications pour le moins vaseuses, le Dr. Omar Bouazza, patron de la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) a déclaré à la presse suite aux premières révélations du Desk, que ses services ont décidé du retrait de la mise sur le marché du Pedovex « après avoir été tenus au courant de la mesure prise en Arabie Saoudite ». Il ajoutait que le ministère de la Santé n’avait, jusqu’à présent, reçu aucune alerte sur l’inefficacité du médicament. « Dans le cas contraire, notre direction mènera les investigations nécessaires », assurait-t-il. Assertion contradictoire, puisque le communiqué du même ministère, daté du 30 mars, fait bien mention de la notice d’alerte de la Saudi Food and Drug Administration (SFDA) du 29 décembre 2017 qui précise noir sur blanc la « non-efficacité » du médicament.
Pire encore, le directeur de la DMP assurait que le délai pris pour adopter cette décision s’explique par le fait « que le Maroc ne fait pas partie de la liste des pays que le laboratoire Tabuk est tenu d’informer en cas de retrait du médicament ». Un non-sens, au-delà de toutes les mesures de veille qui sont du ressort de son département, particulièrement pour les médicaments, puisque Tabuk a même choisi Casablanca pour y établir son bureau régional.
L’homme d’affaires Hamid Ouahbi, actionnaire de référence de Zenith Pharma a affirmé pour sa défense que son laboratoire « travaille depuis trois mois sur la préparation de la bio-équivalence du médicament générique avec le médicament original ». Cela indique donc qu’il était au courant de la décision de la SFDA saoudienne, très certainement avisé dans ce sens par l’antenne casablancaise de son partenaire Tabuk, et qu’il n’a pas alerté le ministère de la Santé, ni pris de dispositions pour retirer les lots du Pedovex en circulation.
TABUK JUGE LE MAGHREB COMME UN MARCHÉ ‘POUBELLE’
Pour Moez Sediri, qui se bat en Tunisie pour recouvrer ses droits bafoués, il n’y a aucun doute sur le fait que Tabuk, entreprise familiale d’origine jordanienne, devenue en 25 ans un des leaders du secteur pharmaceutique au Moyen-Orient, brassant plus de 500 millions de dollars de chiffre d’affaires par an, ait agit en toute « préméditation », et avec « très peu de considération pour ses marchés maghrébins jugés propices à toutes les entorses ».
« Une attitude irresponsable qui jette alors le doute légitime sur le catalogue saoudien de Zenith Pharma dont nous produisons la liste, soit 7 autres médicaments que le Pedovex que Zenith Pharma produit sous licence des laboratoires Tabuk », écrivions-nous dans un précédent article. Notre prophétie se révèle encore exacte, puisque Sediri qui vient d’en prendre connaissance, nous alerte, cette fois spécifiquement pour le Maroc : le Divido, un anti-inflammatoire qui y figure, générique du Voltarène des laboratoires Novartis, qui a échoué devant la commission technique en charge de l’octroi des AMM en Tunisie, n’étant pas une copie à l’identique du princeps, mais un médicament composite qui n’a pas prouvé son efficacité clinique. Le Divido se vend d’ailleurs comme des petits pains en Algérie aussi où il fait même figure de produit d’appel pour d’autres médicaments de Tabuk.
Que va nous dire encore à ce propos Omar Bouazza et quelles sont les mesures que prendra le ministre de la Santé Anass Doukkali à l’encontre de Tabuk et de Zenith Pharma qui ont délibérément mis en danger de mort les patients marocains du Pedovex ? Très récemment encore, devant la commission d’enquête parlementaire, il bottait en touche sur tous les dossiers noirs de la Santé. Or celui-ci relève particulièrement du pénal.