– L’industrie pharmaceutique algérienne fait face actuellement à d’énormes difficultés au plan réglementaire, ce qui freine l’essor de cette jeune industrie. Qu’en est-il réellement ?
Tout d’abord, les incohérences réglementaires ne datent pas d’aujourd’hui. Elles se sont même institutionnalisées au fil du temps. Il suffit de reprendre les propositions avancées par les acteurs de l’industrie pharmaceutique, et même certaines interviews que vous avez réalisées vous-même il y a 10 ans, pour s’apercevoir que nous faisons, hélas, toujours et encore les mêmes constats.
Et nos propositions restent lettres mortes. En revanche, aujourd’hui, la situation s’est aggravée pour plusieurs raisons. La première est évidemment le problème politique que vit l’Algérie et qui ne permet pas de prendre les meilleures décisions. On se contente de colmater les brèches par des mesures «bricolées».
La seconde est relative, je pense, à l’incarcération d’anciens cadres du ministère de la Santé, dont les collègues ne savent pas aujourd’hui s’ils ont réellement fauté ou s’ils ont payé pour des décisions imposées par les gouvernements de l’époque en faveur de l’oligarchie, ou peut-être même, simplement, pour des prises de décision sans assise réglementaire claire.
Une chose est sûre : dans l’incertitude, aujourd’hui, au niveau des administrations, tout le monde a «peur» de signer et de subir le même sort. En résultent un attentisme et un immobilisme dangereux pour la santé des Algériens. C’est justement pour cela que nous avons toujours réclamé une réglementation claire, transparente et cohérente, une sorte de «code de la route» seul à même de garantir l’équité des droits et des obligations des opérateurs, mais également de sécuriser les prises de décision des fonctionnaires.
Rien n’a été fait en 15 ans. Pis encore, les tentatives d’amélioration mises en place, telles que la création de l’Agence, l’ont été de façon approximative et improvisée – comme d’habitude, serais-je tenté de dire – ce qui a eu pour conséquence de compliquer davantage la situation. Ou l’«art» de transformer une solution en problème.
– De nombreuses entreprises locales attendent depuis plusieurs mois les décisions d’enregistrement pour la fabrication de certains médicaments. Qu’est-ce qui bloque ce processus ? Quelle est, d’après vous, la meilleure solution pour y remédier ?
Les soucis vécus par les producteurs sont nombreux et vont en s’aggravant, à l’image des délais d’enregistrement. Mais une problématique plus inquiétante concerne les risques liés à l’approvisionnement des marchés hospitaliers et officinaux. Notre métier est fortement réglementé du fait de la sensibilité de notre secteur. Aussi, toute entrave à une action efficace, rapide et cohérente de l’administration peut avoir des conséquences désastreuses. Il se trouve qu’aujourd’hui, cette administration est mise en situation de ne pas pouvoir mener ses missions à bien.
Que pouvons-nous exiger d’une Agence qui fonctionne sans budget depuis sa mise en place ? Que pouvons-nous exiger d’un Laboratoire national de contrôle qui a été absorbé par cette même Agence sur papier, mais qui est dépourvu de plan d’action et de visibilité pour les principaux concernés ? Que pouvons-nous exiger d’une Direction générale de la pharmacie dont les fonctionnaires sont confrontés au risque pénal encouru à chaque décision en l’absence d’une réglementation cohérente, et le risque d’atteinte à la santé publique des Algériens en l’absence de prise de décision ?
C’est aux politiques de faire en sorte que l’administration et les institutions soient à même de mener leurs missions dans les meilleures conditions. Il me semble que les tenants du pouvoir en Algérie ont longtemps préféré garder le décisionnel dans le giron du politique au détriment des institutions. Il s’agit probablement d’un moyen de prioriser leurs intérêts et ceux de leurs inféodés, au détriment de l’intérêt de la nation.
Quant au pouvoir politique actuel, il se sait «en sursis» et n’a donc pas la légitimité pour mener ces réformes réclamées depuis plus de 15 ans. La solution ne pourra donc venir que d’une réelle volonté politique de créer des institutions fortes et légitimes, et de leur donner les moyens de mener à bien leurs missions avec, comme unique préoccupation, l’intérêt des Algériens.
– La situation financière des entreprises pharmaceutiques se fragilise de plus en plus et certaines risquent de fermer. Comment peut-on donner un nouveau souffle à cette jeune industrie ?
Les problèmes sont clairement identifiés et les solutions font aujourd’hui l’unanimité au sein des professionnels du secteur, que ce soit du côté des opérateurs ou du côté de l’administration.
Il est donc clair que pour donner un nouveau souffle à cette industrie – comme pour tous les autres secteurs économiques en Algérie – il y a lieu, avant tout, de régler le problème politique pour pouvoir enfin travailler dans l’anticipation et dans la planification et non plus dans ce que j’appellerais l’«improximation», ce savant mélange d’improvisation et d’approximation qui a coûté si cher à l’Algérie dans tous les domaines ces dernières années.
– Près d’une centaine d’unités de fabrication sont actuellement en activité. Pensez-vous que l’investissement dans de nouvelles entreprises serait un moyen efficace pour diversifier et exporter ?
L’exportation nécessite, encore une fois, une politique d’Etat multisectorielle. Aujourd’hui, dans notre secteur, elle impose une présence locale, voire des investissements dans les pays ciblés qui, à l’instar de l’Algérie, ne veulent plus être considérés comme de simples marchés.
L’environnement dans lequel nous évoluons aujourd’hui ne nous permet pas d’être ambitieux en termes de conquête de parts de marché. Nous sommes très en retard dans tous les domaines, mais nous avons toutes les compétences nécessaires pour rattraper ces retards et tenter de faire valoir nos avantages compétitifs et notre savoir-faire. A condition, bien évidemment, que les conditions d’exportation soient instaurées en termes de bonne gouvernance, d’Etat de droit et de renforcement des institutions.
– L’Algérie a-t-elle aujourd’hui les moyens d’investir dans la biotechnologie ?
Il s’agit encore une fois d’une décision politique que nous devons prendre urgemment si nous voulons avoir, demain, les moyens financiers de prendre en charge la santé des Algériens. Mais pour cela, il faut se donner les moyens de le faire, même si nous ne récolterons les fruits de cette orientation que dans 20 ou 30 ans. Aujourd’hui, nous en sommes hélas loin sur tous les plans, à commencer par l’inévitable réglementation encadrant cette technologie, qui est aujourd’hui quasiment absente.
Nous sommes mortels mais l’Algérie est éternelle, nous avons donc l’obligation d’être ambitieux pour les générations futures. La bonne nouvelle, en revanche, c’est que depuis quelques mois, les Algériens ont confirmé à ceux qui en doutaient qu’ils étaient capables du meilleur, pour peu qu’on leur fasse confiance et qu’on sache investir en eux.
In EL watan (Djamila Kurta)