Par Dr. Salah Eddine SAHRAOUI
CEO Clinica Group
-Contexte :
La pharmacoéconomie est une discipline évolutive qui se concentre sur l’évaluation économique des traitements pharmacologiques et des attitudes thérapeutiques. Elle vise à fournir des informations utiles aux responsables politiques pour les soutenir dans leur prise de décision.
Cependant, elle ne peut remplacer la réflexion multifactorielle, le jugement, le bon sens et doit être considérée comme un outil d’aide à la décision parmi une multitude de facteurs importants : les besoins médicaux non satisfaits, le système de santé du pays, la politique pharmaceutique, l’accessibilité aux traitements ainsi que les particularités économiques du pays. Les études pharmacoéconomiques sont donc un élément important mais insuffisant pour prendre des décisions éclairées en matière de santé.
Le BIM (Budget Impact Model) est un type d’étude pharmacoéconomique permettant l’évaluation d’impact de l’introduction d’une stratégie thérapeutique sur le l’environnement économique de la prise en charge d’une pathologie donnée.
Cette analyse va au-delà de la simple évaluation des coûts et des avantages pour le patient et son entourage : elle implique une immersion dans les métriques économiques, les modèles statistiques et les dynamiques du marché pharmaceutique, marqués par une politique pharmaceutique algérienne encourageant la production locale – et allant même jusqu’à interdire l’importation des produits fabriqués localement.
Dans ce paysage complexe où se rencontrent la santé et l’économie en Algérie, la mise en place et l’analyse technique d’un modèle d’impact budgétaire se présente comme l’une pièce maîtresse de la stratégie pharmacoéconomique du pays.
Quelle méthodologie utiliser ? Quels types d’analyse pour quels résultats attendus ? Ce sont les questions auxquelles nous répondrons dans cet article.
L’Algérie et ses particularités :
Avant d’aborder les détails techniques de l’analyse du BIM, il est impératif de contextualiser cette démarche dans le paysage démographique et sanitaire algérien.
La diversité démographique (marquée par une jeunesse en plein essor), les spécificités épidémiologiques (caractérisées par la fameuse « transition épidémiologique » faisant cohabiter les maladies du passé avec celles du présent moderne), couplées à une politique sanitaire et pharmaceutique locale créent un environnement complexe qui nécessite une adaptation précise des modèles pharmacoéconomiques internationaux.
Or, le principal challenge de l’implémentation de ces modèles en Algérie est le manque de données pharmacoépidémiologiques qui sont la principale source d’information des études pharmacoéconomiques en général, et des BIM en particulier. Les coûts des prises en charges hospitalières sont également manquants, ce qui accroit ce challenge d’implémentation des BIM en Algérie.
Dans ce contexte, les BIM ne sont plus que de simples calculs financiers : ils deviennent des outils stratégiques à part entière pour les décideurs de la santé. Leur application stratégique englobe plusieurs dimensions :
- Optimisation des Ressources : les BIM aident à allouer les ressources de manière efficiente en identifiant les interventions les plus rentables et en évaluant leur impact sur le budget global de la santé. Cette stratégie de mesure de l’efficience des dépenses a été amorcée en 2023 par les ministères de la Santé, de l’Industrie, du Travail et des Finances.
- Négociations de Prix : les BIM fournissent une base solide pour les négociations avec les fabricants pharmaceutiques, permettant ainsi d’établir des prix justes en fonction de l’efficacité clinique et de l’impact financier appliqué à l’Algérie. La comparaison des prix des médicaments versus les pays de référence n’est donc plus le seul élément décisionnel dans la fixation du prix d’un médicament.
- Priorisation des Interventions : Dans un monde où les choix sont nécessaires, les BIM guident la priorisation des interventions en fonction de leur impact économique et clinique.
Méthodologies de l’analyse du BIM en Algérie :
L’analyse du BIM en Algérie repose sur une combinaison de méthodologies robustes incluant notamment des modèles de coûts, des analyses d’efficacité, des effets indésirables et leur gestion ainsi que des évaluations de l’impact sur la qualité de vie.
Les données requises sont souvent extraites de registres médicaux, de thèses conduites par le corps médical, de bases de données publiques, d’études de marché et de sources épidémiologiques locales.
Sur le plan plus technique, le BIM se base sur :
- Données baseline : les BIM commencent par l’établissement de données baseline solides incluant la prévalence de la maladie, les coûts de traitement actuels et les résultats cliniques attendus.
- Modélisation des traitements : les différentes options de traitement sont modélisées en tenant compte de leur efficacité clinique, leur tolérance à court et long terme, des coûts associés et des impacts potentiels sur la qualité de vie des patients.
- Analyse du temps : les BIM intègrent souvent une dimension temporelle, permettant d’estimer les coûts et les bénéfices sur une période prolongée.
- Variables d’incertitude : la modélisation tient compte des incertitudes inhérentes aux données et aux projections futures, intégrant des analyses de sensibilité pour évaluer la robustesse des résultats. La connaissance du pays demeure cruciale afin de mieux cerner ces analyses – qui sont multifactorielles.
Outils statistiques et modélisation économique
L’utilisation d’outils statistiques avancés est au cœur de l’analyse du BIM en Algérie. Des modèles économétriques complexes sont déployés pour estimer les coûts directs et indirects associés à l’introduction d’une nouvelle thérapie.
Avec le peu de données économiques locales disponibles, les données utilisées pour l’estimation des coûts des actes médicaux sont fortement inspirées des coûts observés en médecine privée, avec le biais assumé d’une différence d’au moins 30% comparativement à la médecine publique – le coût dans le privé étant moins élevé que celui dans le public.
Ces modèles sont conçus pour estimer les coûts futurs et les économies associés à l’introduction d’un nouveau médicament ou d’une intervention médicale.
Les méthodes statistiques telles que les modèles de Markov, les modèles de survie et les modèles de régression sont couramment utilisées. Les modèles de Markov contribuent à représenter les transitions des patients entre différents états de santé au fil du temps, ce qui est particulièrement pertinent pour les maladies chroniques. Les modèles de survie sont utiles pour estimer la probabilité de survie des patients dans le temps. Les modèles de régression peuvent, quant à eux, être appliqués pour évaluer les relations entre les coûts de santé et divers facteurs, permettant ainsi une analyse approfondie des coûts associés à l’introduction d’une nouvelle intervention.
Ces différents modèles aident à simuler les scénarios futurs, à quantifier les incertitudes et à fournir des informations cruciales aux décideurs de la santé pour prendre des résolutions éclairées en matière de gestion budgétaire.
Une analyse approfondie du BIM doit inclure des scénarios de sensibilité pour évaluer la fiabilité des résultats face à de potentielles variations des paramètres clés : l’introduction d’un produit fabriqué localement, le taux de change, l’inflation, le secteur de prise en charge de la pathologie, le produit destiné à la médecine de ville ou hospitalière, etc. En outre, des analyses spécifiques à des sous-groupes de la population peuvent être nécessaires pour garantir l’équité dans l’accès aux traitements.
Intégration des nouvelles technologies
Les avancées technologiques, telles que l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage machine, sont de plus en plus intégrées dans l’analyse du BIM dans le monde. En effet, ces technologies émergentes permettent une analyse plus rapide et une utilisation plus nuancée des vastes ensembles de données disponibles.
L’avenir et la pertinence de l’IA en Algérie dépendront, en grande partie, du nombre de données épidémiologiques et économiques à inclure dans les outils utilisant cette technologie de pointe.
En conclusion, l’analyse technique du modèle d’impact budgétaire en Algérie exige un mariage subtil entre les données locales, les méthodologies statistiques avancées ainsi qu’une fine compréhension des réalités médicales et économiques du pays.
Dr. Salah Eddine SAHRAOUI
CEO Clinica Group
Bravo pour cette article, et surtout la subtilité de la conclusion, en évoquant la phrase « fine compréhension des réalités médicales ».