L’industrie pharmaceutique locale souffre «du cadre législatif et réglementaire régissant la protection de la propriété intellectuelle». Ce constat a été dressé lors d’un séminaire tenu récemment. Le secteur souffre aussi d’un manque «de soutien du gouvernement».
Les défis et problèmes auxquels fait face l’industrie marocaine du médicament sont nombreux, ne lui permettant pas de se développer et d’être compétitive. Ces obstacles ont été relevés et analysés lors d’un séminaire tenu récemment sur le thème «Propriété intellectuelle et production locale de médicaments au Maroc: opportunités et défis» organisé par TPC MENA (International Treatment Preparedness Coalition). Des interventions des divers spécialistes lors de cette rencontre, il ressort que cette industrie souffre «du cadre législatif et réglementaire régissant la protection de la propriété intellectuelle». Il en va de même «de la présence ou de l’absence de brevet déterminant ce qui est général et ce qui ne l’est pas». Ce n’est pas tout puisque les spécialistes reprochent à la législation locale régissant la propriété intellectuelle de ne pas tirer profit de la souplesse de l’accord ADPIC dont «certaines flexibilités peuvent être favorables au développement des productions locales et à l’accès aux médicaments». Cela dit, il faut reconnaître qu’il existe des souplesse au niveau de la législation marocaine. C’est le cas, entre autres, des licences obligatoires et d’office… mais qui ne sont pas utilisées. Les autres problèmes relevés par les intervenants lors de ce séminaire sont dus entre autres «au non-soutien du secteur par le gouvernement» et au manque de concertations avec les industriels durant les négociations sur les accords de libre-échange. À ceci, il faut ajouter le durcissement progressif de la législation marocaine en matière de protection industrielle. Un durcissement qui, selon les spécialistes ayant participé à ce séminaire, «garantit aux multinationales une protection bien supérieure à ce qui est mondialement requis. Il n’a pas eu l’effet escompté sur l’investissement et l’implantation de ces entreprises étrangères. Bien au contraire, au fur et à mesure que leurs droits se renforçaient, elles ont déserté le pays, se limitant à exporter».
Les abus des brevets
S’agissant des brevets, leur système a également été critiqué car on lui reproche le fait de potentiellement donner lieu a des abus. Il s’agit du recours à ce système pour multiplier les titres de protection ou prolonger les monopoles conférés. Selon une étude réalisée pas des universitaires en Thaïlande présentée lors de ce séminaire, sur plus de 4.000 demandes de brevet déposées entre 1999 et 2010, 84% sont des brevets sur des modifications mineures non brevetables (evergreening). Au Maroc, on ne dispose pas d’informations sur la qualité des brevets délivrés. Sur un autre registre, le séminaire a permis de constater que «l’intégration du système d’observation dans le processus d’examen par l’OMPIC constitue une petite avancée au Maroc. Toutefois ce système n’équivaut pas au système d’opposition pré-octroi autorisé dans le cadre de l’ADPIC, en vigueur dans de nombreux pays. Par ailleurs, le système d’observation demeure inconnu parmi les industriels et la société civile, et son efficacité n’a pas été testée». Sur ce point, il faut préciser que la mise en place des examens des brevets au Maroc a été bien accueillie. En revanche, l’accord entre le Bureau Européen des brevets (EPO) et l’OMPIC ne semble pas rassurer, en ce sens que le Maroc et l’UE n’ont pas les mêmes intérêts en matière de propriété intellectuelle. «L’OMC garantit le caractère souverain des pays pour déterminer le niveau de protection qu’ils souhaitent mettre en place, celui qui est le plus adapté à leur niveau de développement; une liberté dans l’interprétation des critères de brevetabilits prévus dans l’ADPIC. Le Maroc doit, à l’instar d’autres pays en développements, se doter de son propre système d’examen basé sur ses propres critères de brevetabilité », note-on auprès des intervenants au séminaire. En dépit des obstacles inhérents à la législation marocaine, les spécialistes estiment que le secteur de l’industrie du médicament peut, pour son développement, saisir les opportunités qui s’offrent à lui. Il s’agit des flexibilités intégrées à la loi marocaine, mais celles-ci doivent être opérationnelles. Les spécialistes évoquent aussi le fort potentiel de l’industrie de médicament générique. Ils recommandent aussi de s’appuyer sur une société civile forte, experte et mobilisée sur les sujets relatifs à la propriété intellectuelle, sur la prise de conscience (politique, médias) notamment les sujets des ALE et le rôle des génériqueurs. À cela s’ajoute un contexte international favorable marqué par des limites du système globalisation/libre échange.
Recommandations
Après avoir pointé du doigt les problèmes et défis de l’industrie pharmaceutique locale, les participants à ce séminaire ont dressé une liste de recommandations. Ainsi, ils préconisent de sceller un partenariat avec la société civile dans le cadre d’une approche multisectorielle intégrant toutes les parties prenantes pour une politique globale cohérente et transparente, et ce dans le cadre du projet ITPCMENA/Unitaid. «Il est aussi question de sensibiliser davantage les collègues de l’industrie et les principales parties prenantes au sujet par la formation, l’organisation de séminaires et d’événements». Les recommandations comprennent aussi la nécessité d’adapter le système actuel aux besoins du pays et à son développement. Il est aussi nécessaire d’avoir une politique industrielle favorable au secteur en vertu des recommandations, entre autres, de l’OMS et de l’UNCTAD. Sur ce point, il est toujours utile de rappeler que copier un système d’un pays industrialisé n’a jamais été bénéfique pour l’autre pays. Les spécialistes préconisent aussi de lancer «une réelle consultation» avec l’industrie locale, les professionnels de la santé et la société civile dans les négociations d’accords commerciaux en cours comme celui de l’ALECA. «La loi actuelle, avec ses dispositions ADPIC+, ne doit pas servir de base dans la mesure où elle ne fait pas l’unanimité. La référence pour toute négociation doit être les obligations de l’ADPIC (le Maroc dispose déjà d’un accord contraignant avec les USA, il ne faut pas en avoir un autre)», lit-on dans les recommandations. Une collaboration avec certains pays du Sud (Tunisie, Thaïlande, Brésil, Argentine) qui négocient des accords avec l’Union européenne serait bienvenue. Cette collaboration doit se faire à tous les niveaux (gouvernemental, industrie locale, société civile). Le but est de faire face aux différentes pressions lors des négociations. Il est aussi important d’améliorer la transparence et l’accès à l’information relative aux brevets. Ceci doit se faire en permettant aux industries locales de savoir si les brevets d’intérêt ont été déposés et octroyés, de participer aux processus de R&D, d’identifier les besoins de licence et de faire des oppositions. Cette transparence doit également être améliorée «en permettant aux autorités publiques de déterminer selon les besoins sanitaires la possibilité d’accès à des versions génériques ou le besoin d’étape préalable à leur accès». Il faut aussi procéder à l’introduction, autant que faire se peut, des flexibilités de l’ADPIC, aussi bien pré que post-octroi dans la législation marocaine. «Similairement à d’autres pays, cette démarche pourrait se faire en deux temps. D’abord, minimiser l’impact négatif de certaines clauses ADPIC+ comme l’exclusivité des données, l’extension de la durée de protection comme cela a été fait dans d’autres pays. Le Maroc devra demander une assistance technique aux organisations internationales compétentes dans ce sens. Ensuite, dans le cadre d’un débat national plus large, s’engager dans un processus de réforme de la loi 17/97», est-il précisé. Ces dernières ajoutent que le Maroc pourra s’appuyer sur les recommandations des institutions internationales, les accords et conventions internationaux et la lettre conjointe (side letter) échangée lors de la signature de l’ALE avec les USA. Cette dernière précise que «l’accord ne doit pas empêcher les pays de prendre des mesures pour protéger la santé publique et l’accès aux médicaments».
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